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Que dire devant cette femme ? Face à la connaissance et la maturité. Le maintien, la prestance, l’éloquence. Je suis jeune, timide et vulnérable… De me sentir ainsi observée, je détourne la tête pour regarder le sol puis la plinthe où s’appuie une carte pos­tale au vase de fleurs peint par Van Gogh. Position à se rompre le cou. Le dos me fait mal. Le face à face s’avère une épreuve, une souffrance. Le silence empourpre mes joues. Je me dissimule der­rière mes longues mèches flottantes. Je voudrais fuir mais reste une heure ainsi, tordue sur une chaise à décrypter les arabesques de la tapisserie et m’enlise dans la paresse de mes pensées.

Un temps… Me vient un mot… un autre… une idée. Pensée salutaire ! Terme salvateur ! L’esprit en saisit le fil.

La conversation débute….


  ***


De la chaise au fauteuil s’intercale la mesure de nos âges. Il y a tant d’années entre nous. Le jeu sonne faux.

Un mot, un silence, le vide de la solitude. Entre deux mots un blanc immense où parfois se glisse sa parole. Parfois rien ne vient. L’intermède se prolonge dans la pénombre intimiste, lam­brissée de reflets tilleul.

Il est effrayant cet instant où l’on n’a rien à dire, quand on se sent obligé de raconter n’importe quoi pour devenir n’importe qui. Mesure infinie d’un temps où l’on perd pied. Le mot devient alibi. La voix résonne comme celle d’une étrangère. Le front de­venait moite. Les mains frémissaient.

 

***

Elle aimait le jeu. Elle aimait le faste. Le salon était son théâ­tre. La représentation de la vie. Le lieu où se jouaient des drames secrets dont les scènes ne seront jamais écrites. Que de larmes versées pour des peines inconnues au monde et des sentiments ineffables. Les patients étaient les protagonistes de tous ces actes. Dans son théâtre, elle distribuait des rôles, composait des scènes. Mais elle allait aussi, au devant de vœux inconscients pour pré­céder les désirs inexprimés de ses patients.


***

           Une autre source de malaise polluait mes pensées : l'argent, les sommes versées au terme de chaque séance. L'essentiel de mon salaire passait dans cette relation. Il me restait peu pour vi­vre, louer une chambre de bonne et trouver mon autonomie. Je me sentais prisonnière d'un travail que je n'aimais pas. Elle m'incitait à le quitter. Pourtant, ne constituait-il pas la seule res­source me permettant de payer les séances ?

Cette psychothérapie devenait un gouffre qui m'aspirait. Où les solutions se trouvaient-elles ? Les questions affluaient, restaient sans réponses pour m'empêtrer, peu à peu, dans une toile d'araignée.

 

***

       Sans doute  voulait-elle me faire accepter l'idée que ma mère puisse refaire sa vie ? Elle était belle et plaisait. Sans doute, voulait-elle m'en détacher ? Mais elle s'y prenait de façon si brutale. Sans doute étais-je exacerbée ou voulais-je me proté­ger de la place qu'elle souhaitait prendre entre elle et moi pour la provoquer ainsi ce soir-là ?          

 

« Ma mère m'est indispensable.

- Il va falloir apprendre à vivre sans elle... Votre mère se prépare à partir. 

- Je ne vous crois pas. 

- C'est pourtant la réalité. Votre mère se prépare à refaire sa vie.

- Et moi je dis non !

- Il faudra pourtant vous y faire !

- Non !

- Comment non ? »

Devant mon refus persistant de l'admettre, elle ajouta :

« Elle va refaire sa vie. D'ailleurs, elle plait beaucoup aux hommes. »

Le ton s'élevait. La colère montait.

Sa suffisance, son air péremptoire, ses consonances autoritai­res devenaient insupportables.

Mais pour qui se prenait cette femme, enfin ? Elle voulait m'atteindre. Je la détestais en cet instant.

« Vous dites n'importe quoi !

- Vous êtes d'une insolence, Mademoiselle Fonta ! »

            Ce ton glacial, en remontrance de professeur hautain, acheva de me mettre hors de moi. Dans un mouvement d'humeur, j'eus un geste brutal envers les objets, à côté de moi, sur une petite table. D'un revers de la main, je poussai vers le sol une soucoupe, une plante, et saisis un petit vase pour le lancer à toute volée contre le mur d'en face, dans la direction opposée à cette femme, au-dessus de la natte de paille.


 

***

            Une porte s'ouvre sur un silence froid. Un rictus accompagne la sévérité de l'instant. Une porte s'ouvre sur uinstantchaleureux. Un sourire adoucit le coin de ses lèvres. Je vois, j'observe, je ressens tout. Sensible au moindre écart,à l'impal-pable différence dont l'instant se saupoudre tel un soupçon d'épice. Soumise à ce qu'elle veut me faire ressentir, me voici conquise par un geste prévenant et blessée si elle me rabroue. Ses mots, ses airs, ses sous-entendus ont tout pouvoir, donnent le ton de l'entretien. Fuir ! Il le faudrait. Mais c'est impossible. Déjà tout me lie à cette ineffable histoire.

 

 
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